LA LETTRE
J’ai toujours adoré chercher dans les greniers. Petite, j’ai tenté plusieurs fois la fouille du grenier de la maison de campagne de mes grands-parents en quête d’un trésor oublié. Je me souviens encore du vieux rouet en bois en partie brisé, du petit guéridon blanc et de l’armoire de poupées. Je furetais dans tous les coins pour m’assurer qu’aucun vieux coffre caché recélant des monceaux de costumes anciens n’aurait échappé à mes recherches. J’entends encore ma grand-mère me dire: “Mais descends donc, il n’y a que des vieilleries là-haut. Et puis tu vas finir par te casser le cou sur l’échelle“.
Maintenant je suis grande, j’adore toujours autant les greniers et depuis peu, j’ai une maison de campagne. Encore plus ancienne que celle de mes grands-parents, avec trois cabanes, une grange, une étable, un ancien poulailler et des greniers partout. Alors ce week-end, je suis partie à la chasse au trésor. Il y avait un coffre qu’une cinquantaine d’années de poussière avait recouvert. A l’intérieur quelques anciennes boules de Noel en verre. A côté du coffre, un vieux panier en osier fermé. C’est là que je l’ai trouvée. Parmi de vieux clous rouillés, un briquet en métal gravé, d’anciens livres de prières et beaucoup de saletés. Glissée entre les pages d’un antique album de photos. De celles pour lesquelles on s’habillait de ses vêtements du dimanche et qu’on faisait prendre une fois l’an ou lors des grandes occasions chez le photographe.
Un simple morceau de papier plié avec des caractères imprimés à la machine à écrire dans une encre désormais délavée. Une lettre type envoyée tant de fois, seul le nom et la date sont à changer.
« Chère Madame L.,
Nous sommes au regret de vous apprendre que, depuis le 13 mai 1944, votre mari est porté disparu. Connaissant sa bravoure, nous espérons pouvoir vous donner de meilleures nouvelles au plus tôt.
Dans cette attente, veuillez agréer Madame, l’expression de nos sentiments respectueux. »
Cette lettre racontait le début d’une histoire dont on m’avait déjà appris la fin et dont les quelques objets enfouis avec elle dans le panier poussiéreux m’expliquait le milieu.
J’ai d’un seul coup vu cette femme sans doute assise au même endroit que moi, sur ce banc le long du mur, dans le jardin, profitant de la chaleur des rayons de soleil. J’ai vu ses mains trembler en ouvrant la lettre, sa gorge se nouer en voyant l’entête, ses yeux se remplir de larmes en la lisant et j’ai entendu son petit garçon de 4 ans l’appeler : « Maman, tu viens jouer ». Je l’ai vu se demander comment elle allait lui annoncer la nouvelle. Porté disparu. Ni vivant, ni mort. Pas de certitude mais si peu d’espoir. Combien d’autres femmes dans ce village en avait reçu de semblable ? Combien ont finalement eu les meilleures nouvelles promises au plus tôt ?
Je connais la fin de l’histoire, ils ont été nombreux à me la raconter. Je sais que cette lettre a bouleversé la vie de deux femmes, deux hommes et un enfant.
Je sais qu’il est finalement revenu. En 1947. Trois ans après la lettre. Trois ans de détention en Afrique et pour tout souvenir : un long manteau, une petite boîte en fer blanc avec ses initiales « LL » gravées d’un côté, « Afrique » gravé de l’autre et un briquet en métal portant un dessin de désert et l’inscription « Tunis – Afrique – 1944 – Prisonnier de guerre ».
Je sais que ce n’est pas sa femme qui lui a ouvert la porte de sa maison mais un homme. Celui qu’elle avait fini par prendre ne croyant plus son retour possible.
Je sais qu’elle a du quitter cette maison, bannie de son village, marquée par l’infamie. Avec cet homme mais sans son enfant.
Une lettre : un petit morceau de papier et un peu d’encre. Une lettre type dont seule la signature avait été dactylographiée. Qu’il est étrange de l’avoir retrouvée dans les affaires de celle à qui cette lettre a donné un mari.